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Retour à la terre : qui sont ces actifs en quête de reconversion agricole ?

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Par Jean-Baptiste Paranthoën, Chargé de recherche en sociologie à l’INRAE et membre du laboratoire IRISSO (PSL Dauphine, INRAE, CNRS), Université Paris Dauphine – PSL


Face à une profession vieillissante et des défis structurels majeurs, l’agriculture attire de plus en plus de candidats issus d’horizons divers. Mais qui sont-ils, et qu’est-ce qui les pousse à tenter l’aventure ?

Même s’il est loin d’être homogène, le monde agricole est l’un des plus touchés par la pauvreté, le taux de pauvreté monétaire y atteignant en effet 16,2 % contre 14,4 % pour l’ensemble de la population. Le monde agricole est aussi particulièrement touché par les risques psychosociaux. Et pourtant, malgré ces difficultés régulièrement mises à l’agenda médiatique lors des mobilisations spectaculaires, des personnes souhaitent encore aujourd’hui se reconvertir pour devenir agriculteurs. Comment expliquer cette envie de rejoindre un métier et un mode de vie aussi difficiles ?

La difficulté pour rendre compte de ces parcours tient au fait qu’ils sont la plupart du temps étudiés à partir de leur point d’arrivée. Afin de contourner cette difficulté, nous avons étudié ces parcours en nous concentrant sur une étape intermédiaire, celle de la formation continue. L’obtention d’un diplôme agricole ouvre une porte pour les prétendants à l’installation agricole qui ne peuvent pas bénéficier de la transmission du patrimoine productif familial.

Le diplôme agricole d’un niveau équivalent au baccalauréat comme le Brevet professionnel responsable d’entreprises agricoles (BPREA) constitue un critère essentiel pour obtenir la capacité professionnelle et bénéficier des aides publiques à l’installation. C’est donc un terrain privilégié pour étudier qui sont celles et ceux qui veulent devenir agriculteurs, d’autant que le centre de formation qui nous a servi de terrain propose un brevet professionnel en agriculture biologique, destiné à de nouveaux publics éloignés du monde agricole, bénéficiant des dispositifs d’accès à la formation continue pour les salariés et les demandeurs d’emploi.

Des origines sociologiques variées

Cette formation en maraîchage biologique est investie par des profils variés comme le montre l’origine professionnelle des 127 personnes passées par la formation entre 2015 et 2018 : 18 % d’entre elles sont issues des cadres et professions intellectuelles supérieures, 32 % des professions intermédiaires, 22 % sont des employés. Parmi les 23 % des ouvriers, seulement un tiers sont des ouvriers agricoles.

Les entretiens biographiques ainsi que l’analyse approfondie des dossiers de candidature des stagiaires que nous avons suivis permettent de restituer finement les trajectoires scolaires et professionnelles de ces candidats sélectionnés ainsi que leur rapport initial à l’agriculture. Nous les avons classés en trois groupes : les déclassés, les désenchantés et les détachés.

Les déclassés connaissent l’autoproduction

Plus jeunes que les stagiaires des deux autres groupes, les déclassés qui sont des hommes, ont connu un investissement familial important à l’école qu’ils ne sont pas parvenus à convertir. Ayant un baccalauréat, ils ont soit obtenu un diplôme dans l’enseignement supérieur qui n’est pas en adéquation avec leur emploi, soit abandonné leurs études supérieures, puis enchaîné les « petits boulots ». Bien que leur situation économique reste fragile au regard de leur revenu modeste, leur statut de salariés ou de demandeurs d’emploi leur permet d’intégrer la formation.

Ayant déjà une expérience pratique d’autoproduction en agriculture acquise au sein de jardins associatifs ou familiaux ou au sein de luttes d’occupation comme à Notre-Dame des Landes, ils ont également accumulé des connaissances liées à la commercialisation et à la gestion de la qualité des produits alimentaires au cours d’emplois occupés dans la distribution. En devenant agriculteur, il s’agit pour ces déclassés de trouver une voie de reclassement en valorisant professionnellement et économiquement leur pratique d’autoproduction et leur connaissance concernant les produits alimentaires grâce à l’obtention d’un nouveau diplôme :

« Je ne me sens pas dans un schéma classique, il m’aurait fallu des sous et des études. Aujourd’hui, j’ai envie de faire mon truc pour moi, comme ça je pourrais dire que si ça ne marche pas ça vient de moi. Je préfère me concentrer sur mon petit business, je suis à la recherche d’une autonomie. » (Igor, salarié d’une grande surface, 28 ans)

La sensibilité environnementale des désenchantés

Si les désenchantés partagent avec les déclassés un investissement relativement important dans le domaine scolaire, il s’est finalisé, dans leur cas, par l’obtention d’un diplôme qui a pu être rentabilisé dans la sphère professionnelle. Titulaires de diplômes allant de la licence, jusqu’au doctorat, ils ont eu accès à des emplois stables d’encadrement et de direction ou sont parvenus à intégrer la fonction publique et sont dans des situations financières avantageuses. Mais, leur engagement important au travail a engendré du surmenage ou un sentiment d’inutilité entraînant des crises professionnelles. L’accès au statut d’indépendant est notamment perçu pour ces désenchantés, parmi lesquels on trouve une forte proportion de femmes, comme un moyen de mieux conjuguer leur vie professionnelle et familiale tout en valorisant leurs compétences et/ou leur héritage familial.

Si on retrouve chez les désenchantés le profil des cadres cherchant à retrouver, au travail, un intérêt conforme à leurs aspirations personnelles (Jourdain, 2014), la distance à la nouvelle profession visée semble moins grande qu’elle ne peut s’observer au regard des seules catégories statistiques. Relativement proches des mondes agricoles – car enfants ou petits-enfants d’agriculteurs ou ayant une activité professionnelle au sein du secteur agricole (presse agricole, chantier d’insertion, vétérinaire)- , leur connaissance de la pratique agricole reste superficielle avant l’entrée dans la formation. Ayant une sensibilité environnementale, devenir agriculteur constitue pour eux le moyen d’accéder au statut d’indépendant et de réaliser une nouvelle activité professionnelle écologique valorisée socialement et symboliquement :

« Je ne veux plus de mon boulot. Ça fait 18 mois que je me dis j’arrête demain, le mois prochain… Je voulais un boulot utile et les vétérinaires n’ont aucune utilité sur l’urgence alimentaire qu’il va y avoir. C’est bien de soigner les animaux mais nourrir les gens, je trouve ça plus vital. » (Stéphanie, Salariée vétérinaire, 36 ans)

Le parcours parfois erratique des détachés

Âgés de plus de 40 ans et ne pouvant donc plus prétendre au dispositif d’aide public à l’installation, les détachés ont connu un parcours scolaire et professionnel moins favorable que les membres des deux autres groupes. En effet, leur titre scolaire a une plus faible valeur que celui des autres stagiaires soit parce qu’il est d’un niveau inférieur, soit parce qu’il a été dévalué par le temps. Tout au long de leur parcours professionnel, ils ont tenté de compenser ce faible niveau scolaire initial par le suivi de formations continues, ce qui leur a permis de changer plusieurs fois de secteurs dans des emplois qui restent peu qualifiés (facteur, tailleur de pierre, maçon, disquaire) et d’accéder à un emploi stable. Mais, la pénibilité de leur travail tout comme son intensification les ont conduits à se détacher vis-à-vis des enjeux professionnels.

Malgré leur parcours professionnel parfois erratique, ces détachés peuvent toutefois s’appuyer sur des arrangements conjugaux afin de suivre une nouvelle formation. Si les détachés pratiquent, comme les_ désenchantés, _un_e culture ornementale de leur jardin et que leur appréhension de l’agriculture biologique s’est essentiellement construite sous l’angle de l’alimentation, l’accès à la formation constitue moins pour eux un enjeu professionnel qu’un instrument de développement personnel :

« J’ai 48 ans donc je ne me vois pas transmettre des terres à mes enfants. Ça, j’en suis complètement détaché. Et la formation m’aide à me dire que je ne ferais peut-être pas quelque chose de complètement about. » (Yann, salarié d’une Biocop, 48 ans)

Des accès inégaux au statut d’indépendant

Alors que le nombre d’échecs pour obtenir le diplôme est très faible, l’accès au métier d’agriculteur reste difficilement atteignable pour les stagiaires tant il reste marqué par l’importance de la transmission familiale du capital économique et du patrimoine. Les entretiens réalisés après la formation montrent que c’est surtout parmi le groupe des désenchantés que l’on retrouve les installations les plus rapides. Ayant des ressources économiques et parfois politiques importantes, ils peuvent obtenir des terres plus facilement soit en rachetant des exploitations soit en bénéficiant des terres mises à disposition par des collectivités locales.

Pour celles et ceux qui ne deviennent pas agriculteurs rapidement, il s’agit de continuer à accumuler de l’expérience en réalisant des stages ou en devenant ouvrier agricole. Ce type d’emploi marqué par une forte discontinuité du fait de la saisonnalité du travail agricole s’avère particulièrement éprouvant pour celles et ceux qui avaient auparavant des emplois stables.

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Les nouveaux agriculteurs, un enjeu majeur

Pour les autres comme les déclassés et les détachés qui avaient déjà connu cette instabilité professionnelle au cours de leur carrière, la discontinuité du travail agricole paraît beaucoup moins contraignante. Au contraire, elle constitue parfois même une opportunité pour connaître plusieurs modèles d’exploitation agricole et choisir celui qui leur correspond le mieux. Si cette expérience ainsi que leur nouveau diplôme leur permettent d’accéder rapidement à des postes d’encadrement comme chef de culture par exemple, elle n’offre pas de niveau de rémunération suffisant pour envisager à court et moyen terme l’achat d’une exploitation. Ils sont alors contraints de poursuivre leur carrière en agriculture comme salariés.

Alors que le renouvellement des générations en agriculture constitue un enjeu pour l’avenir de ce secteur (La population agricole est une des plus âgées : en 2020, 43 % des agriculteurs étaient concernés par l’ouverture des droits à la retraite ou le seront d’ici à 2030, les parcours de reconversion professionnelle vers l’agriculture sont encore peu connus en dehors des images idéalisées. L’étude de ces parcours en train de se faire montre pourtant que si la formation continue ouvre aujourd’hui des voies de passage vers l’agriculture, elle ne permet pas de lever un des principaux verrous à l’installation de nouveaux arrivants : l’accès à la terre.


Cet article (dans sa version intégrale) fait partie du dossier Territoires ruraux en mouvement : entre recomposition agricole, libéralisation des marchés et reproduction des inégalités publié par Dauphine Eclairages le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Image by Pexels from Pixabay

The Conversation

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