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Avec la Sécurité sociale de l’alimentation, combiner besoin alimentaire et gestion démocratique

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Depuis avril 2024, près de 400 personnes participent à une expérimentation de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA), sous la houlette du collectif Acclimat’action, avec le soutien du Département de la Gironde et de la Ville de Bordeaux. Réparti sur quatre territoires urbains et ruraux, le dispositif associe citoyennes et citoyens, producteurs et distributeurs conventionnés. Reportage.

Et si nous reprenions possession de notre droit à l’alimentation ? Une alimentation choisie, saine et en quantité. Une alimentation locale à un coût accessible et rémunérateur du travail de producteurs que l’on connaît. Sacré chantier ! On se prend à rêver. Concrètement.

C’est le défi que relèvent les centaines de participants à l’expérimentation d’une caisse de l’alimentation en Gironde vers une Sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Avec, en ligne de mire, la réalisation d’un droit fondamental et universel à l’alimentation.

Après une bonne année de préparation, la phase de test grandeur nature est en cours. En Gironde, la SSA est expérimentée dans quatre territoires bien définis. Le Sud Gironde rural, la ville de Bègles en banlieue de Bordeaux, le quartier de La Benauge dans le nord de Bordeaux et le Pays foyen, aux portes du Périgord, autour de Sainte-Foy-la-Grande sur les rives de la Dordogne et au cœur du vignoble AOC de Sainte-Foy-Bordeaux.

La démocratie au menu

Chaque premier lundi du mois, la Maison du paysage et de l’alimentation de Sainte-Foy-la-Grande accueille à l’heure du petit déjeuner, les membres de la caisse locale de SSA. Au menu, échange d’expériences, évolution et amélioration du dispositif, actions et réflexions à mener. Vient qui veut et qui peut. De la démocratie en acte, du « work in progress » !

Visibilité des producteurs, suivi des produits et des distributeurs conventionnés, respect des règles du jeu, nouveau conventionnement pour une petite productrice de volailles… bilan d’étape des premiers mois d’expérimentation… tous les sujets sont abordés. Animée par Amélie Teycheney, coordinatrice de l’association Les Râteleurs, la discussion est ouverte, la parole libre.

« J’aime l’image du poisson et de la canne à pêche, raconte Amélie. Nous ne voulons pas distribuer du poisson, mais apprendre à pêcher. » Ainsi, Les Râteleurs revendiquent « les moyens de refaire société sur les questions alimentaires par des pratiques appropriables par tous. Jardiner, bouger, cuisiner, redonner du goût à la table, c’est retrouver de nouveaux moyens de résistance et le droit de choisir d’autres voies que l’impasse d’un modèle alimentaire en crise. » 

Sur tous les fronts du droit à l’alimentation en pays foyen, Les Râteleurs organisent des ateliers cuisine sur le terrain ; par exemple, une fois par mois devant la distribution alimentaire des Restos du cœur. Une initiative appréciée des bénévoles dont elle rompt l’isolement.

C’est donc tout naturellement que cette association qui promeut « la souveraineté alimentaire des territoires en développant des activités scientifiques, économiques, techniques, pédagogiques et de formation », a souhaité être de la partie de l’expérimentation girondine de SSA. 

Ce lundi 4 novembre, pour la quinzaine de participants réunis, la proposition de loi transpartisane signée par une quinzaine de parlementaires des groupes de gauche et écologiste, déposée le 15 octobre dernier à l’Assemblée nationale, pour « l’expérimentation vers l’instauration d’une Sécurité sociale de l’alimentation » fait débat. « Cela montre que l’idée de SSA infuse et progresse », apprécie Amélie. D’autres participants expriment leurs craintes d’une récupération politicienne et de détournement du principe local et populaire. Pour Alexandre et Cassandra, tous les deux en lien avec les activités du Réseau Salariat, il faut rester vigilant en matière de respect du « principe de financement, fondé sur la cotisation, géré démocratiquement et non par l’État ».

« C’est important que cela soit démocratique et citoyen. C’est une démarche qui amène les gens à la consommation d’une alimentation saine, durable en lien avec les producteurs », insiste Aurélie qui se dit heureuse d’y participer.

De l’écologie solidaire

Pour Myriam, qui vit avec le soutien de sa famille et perçoit une allocation aux adultes handicapés (AAH), « c’est positif que, dans cette expérimentation, des personnes de toutes catégories sociales participent. Que ce soit des personnes à très faibles revenus ou des personnes avec des revenus plus importants. Chacun cotise en fonction de ses possibilités, mais tous ont droit à la parole. »

Cette aventure est née de la démarche du collectif Acclimat’action et de ses membres issus de l’éducation populaire, de l’économie sociale et solidaire, du travail social ou de la recherche scientifique, du Réseau VRAC bordelais et de la scop SaluTerre, un bureau d’étude en paysage et système alimentaire, installé à Sainte-Foy-la-Grande. À l’hiver 2020-2021, au travers d’actions de mobilisation et de sensibilisation, de jeux, de micro-trottoirs et de porte-à-porte, Acclimat’Action fait le constat d’une forte volonté citoyenne de transformation du système alimentaire. Dans la foulée, le collectif rejoint le réseau qui deviendra le Collectif national pour une Sécurité sociale de l’alimentation et trouve l’inspiration dans les différentes expériences menées au plan local. Petit à petit, l’idée fait son chemin.

En première ligne face à la précarité alimentaire qui touche 200 000 personnes, (12 % de la population girondine) et face aux difficultés des agriculteurs girondins, dont le revenu moyen est de 600 €, le Département de la Gironde et la Ville de Bordeaux créent, en janvier 2023, la Fabrique girondine de l’écologie solidaire, autour d’un projet de Sécurité sociale de l’alimentation.

Sachant que la Gironde ne dispose que d’une semaine d’autonomie alimentaire, les deux collectivités décident de s’associer avec le collectif Acclimat’action, afin d’expérimenter la mise en œuvre du droit à l’alimentation durable et d’amorcer la transformation du système agricole et alimentaire local. Afin d’ancrer la légitimité théorique et technique de l’initiative, un volet de recherche y est associé avec cinq chercheuses et chercheurs qui accompagnent le projet.

Dès lors, quarante personnes issues des quatre territoires d’expérimentation débutent un parcours d’engagement (PE) afin d’élaborer, dans un premier temps, un socle commun de connaissances sur l’agriculture et l’alimentation et, dans un second temps, de créer les conditions d’un travail collectif mettant en application le principe d’une démocratie alimentaire.

Un nouvel élan pour le droit à l’alimentation

Puis, six mois plus tard, en juin 2023, des collectifs territoriaux se structurent dans les quatre territoires, composés des participantes et participants des PE qui souhaitent poursuivre l’aventure et s’ouvrent à tous les habitantes et les habitants des territoires intéressés par la démarche, aux acteurs institutionnels, associatifs. Ensemble, ils travaillent à la préfiguration des caisses locales de l’alimentation sur leurs territoires. Au bout de ce processus de gestation, en avril 2024, l’expérimentation est lancée. 

Aujourd’hui, près de 400 Girondines et Girondins, issus d’environ 180 foyers (de tous statuts et de tous revenus, conformément à l’ambition universelle du projet), tirés au sort parmi des volontaires selon des critères de représentativité (revenus et composition du foyer) participent à la caisse de l’alimentation. Ils cotisent selon leurs moyens et se répartissent de manière égale une allocation financière dédiée à l’alimentation.

Le Nouvel Élan, le bien nommé magasin de produits locaux situé à Pineuilh, commune voisine de Sainte-Foy-la-Grande, est conventionné à 100 % par la caisse locale du Pays foyen. Neige et Ludovic qui ont ouvert leur commerce en 2020 ne proposent que des produits en provenance de Gironde, de Dordogne et du Lot-et-Garonne, au plus à 120 km de distance. Mis à part les boissons et les friandises comme le chocolat, l’ensemble des produits alimentaires proposés au  Nouvel Élan, la plupart en bio, peut être payé en « MonA » par les participants à l’expérimentation de la SSA. MonA, pour « monnaie alimentaire », est le nom de baptême de l’outil créé spécialement pour l’achat de produits conventionnés dans le cadre de l’expérimentation. Chaque mois, les participants reçoivent 150 MonA (1 MonA = 1 euro) par foyer et 75 MonA par personne supplémentaire. Le montant de la cotisation des participants est autodéterminé, sur la base de critères indicatifs tels que le revenu, le « reste à vivre » et le budget alimentaire mensuel. Les MonA sont perçues sur un compte numérique et sont à dépenser dans les lieux conventionnés, simplement à l’aide d’un code à quatre chiffres.

« L’alimentation n’est pas un produit comme les autres »

Comme au Nouvel Élan, près de la totalité de ce que propose la poissonnerie de Castillon-la-Bataille est payable en MonA. Tandis qu’Élodie s’occupe de leur magasin, Manu, son époux, tient des points de vente itinérants. Les provenances de leurs produits de la pêche et d’aquaculture sont identifiées et proches : la Vendée, Les Sables-d’Olonne, Noirmoutier, Arcachon. Ce n’est pas la quête de profits qui motive leur participation à la SSA. Mais la démarche et la satisfaction de « faire découvrir et [de] proposer des produits locaux de qualité », à une clientèle qui ne peut pas toujours se le permettre. 

À proximité de Sainte-Foy-la-Grande, plusieurs points de vente et de culture maraîchère sont membres du dispositif, comme la ferme La Dame blanche à Montcarret, ou les établissements Penisson de légumes bio à Port-Sainte-Foy-et-Ponchapt. « La SSA, c’est une politique publique pour le droit d’accès à l’alimentation. Il faut du temps pour l’élaborer. Si elle vient pour répondre à l’urgence, on fait de la banque alimentaire améliorée. Ce n’est pas l’objectif de notre expérimentation. Il s’agit de combiner besoin alimentaire, vie et gestion démocratique ! Cela implique un changement des pratiques alimentaires et des habitudes de consommation », mesure David Glory. Anthropologue de l’université de Bordeaux, il accompagne l’essai girondin et mène une recherche-action pour comparer les dispositifs innovants d’accès à l’alimentation. « La SSA démocratique, tout le monde a quelque chose à y perdre, pointe le chercheur. Les politiques du pouvoir, les producteurs une part de souveraineté, les classes aisées du confort individuel dans leurs pratiques alimentaires. »

Après des décennies d’accaparement de l’alimentation, de la fourche à la fourchette, par l’agro-industrie et la grande distribution, reprendre la main sur ce qu’on mange ne coule pas de source. Les obstacles sont nombreux. Chantal Crenn, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier et directrice adjointe du laboratoire Savoirs, environnement et société (UMR SENS), est également habitante depuis une trentaine d’années du pays foyen et partie prenante de l’expérience. « Ce n’est pas évident pour les participants issus des classes sociales les plus défavorisées de s’associer durablement à tout le processus de décision, constate l’anthropologue. Pour beaucoup, il est difficile de prendre la parole. Et les processus démocratiques de la vie citoyenne se sont éloignés d’eux… De l’autre côté, les personnes des classes supérieures sont pétries de comportements individualistes… Il y a aussi un vrai sujet de pédagogie et d’éducation populaire à mener, même auprès des classes les plus aisées, sur les questions de redistribution et de pratiques collectives et démocratiques. Il y a du pain sur la planche. » 

Étienne Pazzaia exploite 9 hectares en maraîchage à Loubès-Bernac dans le Lot-et-Garonne tout proche. Son modèle de petite dimension fonctionne avec 95 % de sa production écoulée en vente directe. Étienne conçoit sa participation à l’expérimentation, côté producteurs, comme « un levier pour faire évoluer l’agriculture ». Pour ce maraîcher, « l’entrée de l’agriculture et de l’alimentation dans la mondialisation est une catastrophe. Beaucoup d’agriculteurs se sentent perdus. La stratégie du bas pris est mortifère. L’alimentation, ce n’est pas un produit comme les autres. La SSA sème l’idée d’une sortie de l’agriculture du marché. » 

En savoir plus :

Caisse alimentaire Gironde : Caisse-alimentaire-ssa-gironde.fr/

Collectif Acclimat’action : Acclimataction.fr/

Association Les Râteleurs : Lesrateleurs.org/Scop SaluTerre : Saluterre.com/

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