Deux cultures pour une seule joie

Quand, samedi soir, après les buts de Tchouaméni et de Giroud, le pénalty de Kane est allé direct dans le grand ciel, il a dû rejoindre les feux d’artifices tirés depuis le quartier de l’Ousse des Bois à Pau. Au cœur de ce quartier populaire, les supporters des Lions de l’Atlas fêtaient comme il se doit la magnifique victoire du Maroc, première équipe africaine à se qualifier pour la demi-finale d’un Mondial. Plus tard, dans le centre-ville de Pau, on a vu converger les drapeaux français et marocains pour une soirée de joie populaire, unissant les supporters des deux équipes. Un peu après la victoire du Maroc, et avant celle des tricolores, un jeune supporter des Lions a dit ceci : « C’est extraordinaire, on va aller voir l’autre match maintenant, on soutient la France car on est français, s’il y a France/Maroc, ce sera le choix du cœur et quoi qu’il arrive, on sera gagnant » ( La République des Pyrénées du 12/12).

BFM TV, dimanche, avec Zemmour, pas vraiment la même ambiance. Pour lui, « on ne peut pas être pour l’un et pour l’autre ». Il trouve « bizarre qu’il y ait plus de gens qui sont censés être français et qui célèbrent la victoire du Maroc le jour où la France gagne ». Pour lui, il faut choisir ou partir. Un sinistre écho à l’entretien délirant entre Houellebecq et Onfray, dans la revue « Front populaire », où la « bonne solution » serait le départ de nos compatriotes de confession musulmane. Ad nauseam.

Dans « Le Journal du dimanche », Leïla Slimani, écrivaine franco-marocaine, a eu une très belle réponse face aux haineux. « J’espère que le Maroc va gagner et aller en finale, le Maroc reste l’équipe de mon cœur, mais je serais heureuse si la France gagne. Je n’ai aucune envie de penser à tous les fâcheux, les gens qui sont dans la joie ne sont pas sur Twitter en train d’écrire des propos dégueulasses ».

Comment va la France ? Elle ne va pas bien. Le cumul des crises frappe très douloureusement les familles populaires, les plus modestes. Alors, c’est vrai, même si l’attribution au Qatar de cette compétition a été une honte, comme l’est aujourd’hui l’affaire de corruption au niveau du Parlement européen, la magie du sport apporte son lot d’émotions et de ferveur.

Comment va la France. Elle résiste et elle est pleine de ressources. En juillet dernier, dans un sondage Viavoice publié dans La Croix, 61 % des personnes interrogées estimaient qu’une société multiculturelle est un atout et que notre modèle social est le principal fondement de l’identité nationale. Et à Pau, ce sont justement des enfants de l’Ousse-des-Bois, entourés de bénévoles au sein de l’Association Pau-Charity (@pau_charity), qui font vivre dans le concret les valeurs de solidarité. Née lors de la crise sanitaire en 2020, cette association caritative organise chaque semaine la distribution de colis alimentaires. Alors que le grand froid est arrivé, ils s’activent pour réchauffer les corps et les âmes des personnes qui viennent les retrouver place de Verdun. Ils ont aussi beaucoup fait pour les étudiants. Mercredi, pour ce France/Maroc, les principaux animateurs de Pau-Charity, dont je connais la passion pour le ballon rond, seront avec les supporters des Lions et avec ceux des Tricolores pour une belle soirée. Sportive, humaine et fraternelle. Il faut choisir ? Pour eux, c’est déjà fait depuis longtemps. Ils ont choisi le camp de la générosité, de la justice sociale pour des vies dignes et respectées. Pour toutes et tous.