Il y a un an, le 30 avril 2022, lors de la cérémonie de remise des diplômes, huit étudiants d’AgroParisTech avaient publiquement appelé, non sans faire sensation, à « déserter » des emplois « destructeurs ». Que nous disaient-ils alors ? « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. »
Ils ne sont pas des cas isolés. Dans de très nombreuses grandes écoles et universités, la question « quel avenir ? » est posée, âprement discutée. Elle invite à des prises de conscience, des bifurcations et des ruptures. Le jeune ingénieur (j’ai toujours été impressionné par la force de ce mot « ingénieur ») refuse d’être l’exécutant docile de décisions prises par les marchés financiers et présentées comme « incontournables et urgentes » par leurs serviteurs politiques.
Ils ne veulent pas participer à la folle course à la productivité, à la compétitivité et à la rentabilité. Ils opposent d’autres objectifs : le développement humain et écologique durable, une réelle autonomie. Que la technique, les sciences, redeviennent un sujet démocratique, débattu par le plus grand nombre. J’ai tant aimé lire René Le Guen et Jean-Pierre Kahane. Ce dernier, évoquant sa nomination au département des Mathématiques à Orsay, au début des années 60, disait : « on avait l’idée que nous étions complètement libres et on a su bien utiliser cette liberté ». Et encore ceci : « je dois tout à mon activité d’enseignement. Au départ, j’ai enseigné des choses que je savais mais, presque immédiatement, j’ai enseigné des choses que je ne savais pas, donc j’ai appris ».
Apprendre ! C’est très certainement la plus belle chose dans l’activité humaine mais pour quelles finalités ? Selon des travaux récents, environ 30% des étudiants des grandes écoles sont en « rupture » et se questionnent sur les métiers auxquels ils sont formés. Ils veulent en connaître l’impact social, écologique ou économique, quelles que soient les conséquences sur leur statut social ou leur situation financière.
Au cours des dernières semaines, nous avons beaucoup parlé des retraites et donc…du travail ! De son sens, de sa réalité, des transformations à opérer. De l’ampleur de la crise du travail qui exige de « donner la parole et une partie du pouvoir à celles et ceux qui font le travail » comme le propose Dominique Méda (Le Monde du 16/04).
Il y a un an, l’un des étudiants d’AgroParisTech avait cette réflexion : « Quelle vie voulons-nous ? Un patron cynique, un salaire pour prendre l’avion, […] même pas cinq semaines par an pour souffler […] et puis un burnout à 40 ans ? ». Quelle vie ? Voilà une question qui appelle du souffle et de l’audace à gauche. Car l’avenir politique peut être celui d’un sang neuf démocratique ou d’une saignée autoritaire.
Et si nous devenions les ingénieurs de nos vies !
Illustration : Les proportions du corps humain selon Vitruve – Léonard de Vinci
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