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Mexique. Une Nobel de la paix préside aux destinées d’une puissance du G20

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Claudia Sheinbaum, nouvelle présidente du Mexique, débutera son mandat en octobre. L’enseignante-chercheuse reconnue est co-récipiendaire du prix Nobel de la paix, en qualité de membre du GIEC. Ce profil atypique à plusieurs égards, ainsi que la composition de son gouvernement et son programme, donnent à voir des conceptions politiques, peu communes sous nos latitudes, en matière d’interactions entre politiques nationale et internationale.

Il est assez rare qu’une ou un Prix Nobel accède à la tête d’un pays. C’est pourtant ce qui va se produire ce 1er octobre au Mexique. Claudia Sheinbaum, élue en juin dernier avec près de 60 % des voix, à la présidence de la République, prendra ses fonctions au début de l’automne. Ancienne ministre puis gouverneure de la capitale Mexico, la nouvelle et première femme cheffe de l’État mexicain est climatologue, physicienne, spécialiste de l’efficacité énergétique, et a participé à ce titre aux rédactions des quatrième (2007) et cinquième (2013) rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2007. Fille et petite-fille de réfugiés juifs d’Europe centrale, militante de gauche dès le plus jeune âge, co-fondatrice de la formation (Morena(1)) du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador (dit « AMLO »), Claudia Sheinbaum a mené une carrière scientifique dans la recherche et l’enseignement qui l’a notamment conduite à siéger au comité des politiques de développement de l’ONU. Elle a alterné l’exercice de trois mandats ou postes ministériels et ses activités professionnelles ; à chaque fin de cycle politique, elle est retournée à ses recherches scientifiques. 

« Pour le bien de tous, les pauvres d’abord »

La république fédérale du Mexique s’étend sur près de 2 millions de km2, compte environ 130 millions d’habitants et fait partie des vingt premières puissances économiques mondiales. Nation d’Amérique du Nord, le Mexique souffre encore de sa proximité avec les États-Unis auxquels il a déjà dû céder par le passé, après la sécession du Texas et deux ans de guerre au milieu du xixe siècle, 50 % de son territoire (soit 2 millions de km2 supplémentaires qui incluaient, entre autres, la Californie, le Nouveau-Mexique ou encore une partie du Wyoming). Son encombrant voisin, prétendument leader du « monde libre », n’a eu de cesse de chercher à lui dicter sa politique. Après trois siècles de colonisation espagnole (du xvie au xixsiècle), ouverts par le massacre de la population aztèque et l’élimination de sa civilisation séculaire et de son empire), le Mexique a longtemps été en butte aux ingérences étasuniennes et à celles des grandes puissances européennes, notamment la France, et de leurs banques, entravant le plein développement du pays et de son peuple. 

Aujourd’hui, le Mexique est l’un des principaux pays producteurs de pétrole (le troisième fournisseur des États-Unis en la matière), le premier producteur mondial d’argent. Grand pays de cultivateurs, dont les revendications ont nourri les élans de la révolution de 1910-1917 et de la réforme agraire de 1964 mettant fin à la concentration des terres, le Mexique a vu son agriculture réduite à 4 % du PIB sous les effets des accords de libre-échange qui le lient aux États-Unis et au Canada. D’« abyssales inégalités sociales » continuent de grever la société mexicaine. Le chercheur Christophe Ventura relevait, en 2018, qu’« 1 % des plus riches concentre 36 % de la richesse nationale. La pauvreté, elle, touche 46 % de la population ». Et, selon les estimations, le travail informel concernerait de 25 % à 50 % de la population active. Claudia Sheinbaum, qui succède à AMLO, dont elle reste proche même si elle n’en revendique pas tout le bilan, a d’ailleurs placé sa campagne électorale sous le slogan, « Pour le bien de tous, les pauvres d’abord ». Peut-elle réellement y parvenir en maintenant une part des politiques de rigueur, dites d’austérité républicaine, qui touchent la recherche scientifique par exemple, justement reprochées à son prédécesseur ? Rien n’est moins sûr. Mais ce qui est certain, c’est qu’après le retour au pouvoir de Lula au Brésil, celui de la gauche coalisée (et malgré quelques désillusions depuis sa victoire) au Chili, l’élection de Claudia Sheinbaum à la suite d’AMLO n’est pas faite pour satisfaire Oncle Sam qui agite déjà les épouvantails, car la présidente semble déterminée à mettre en œuvre son programme électoral. 

Paysans et villageois rackettés et tués par les cartels

La Nobel de la paix prend la tête de l’un des pays les plus violents au monde, déstabilisé par une corruption systémique, une extraordinaire criminalité et les centaines d’assassinats de paysans et villageois rackettés par les cartels, de militantes et militants des droits humains et environnementaux, de candidats aux élections locales, de journalistes, de fonctionnaires de justice et de police. Les activités des narcotrafiquants ont ainsi fait plusieurs centaines de milliers de morts en vingt ans (le New York Times évoque le nombre de 180 000 décès pour les seules années de présidence d’AMLO). Ajoutées à la pauvreté, les effroyables guerres intestines des gangs mafieux poussent aussi des milliers de Mexicains, souvent ruraux, à fuir, à leurs risques et périls, aux États-Unis en espérant trouver un avenir meilleur et envoyer un soutien financier à leur famille restée en arrière. Le Mexique est aussi une terre de féminicides, un fléau endémique que la présidente, jugée encore sur la retenue quant à la lutte contre le patriarcat ou pour le droit à l’avortement, dit vouloir éradiquer autant que la grande pauvreté. Cette lutte, comme la lutte contre la corruption, passe notamment par des réformes constitutionnelles et une réforme du pouvoir judiciaire que la Maison-Blanche dénonce, toute honte bue, comme une « menace contre la démocratie »(2)

Enfin, parties prenantes d’une politique de développement durable et de paix, de lutte contre les cartels de narcotrafiquants et contre la pauvreté, de soutien à l’agriculture et aux communautés paysannes, la transition écologique et la préservation de la biodiversité s’inviteront nécessairement dans l’agenda de la nouvelle cheffe de l’État mexicain qui devra résoudre de grandes contradictions. Le Mexique abrite 10 % de la biodiversité mondiale, « dont la richesse la place au 4e rang mondial » selon le WWF, et fait partie des 17 pays « méga divers » présentant la plus grande biodiversité au plan international. Pour Novethic(3), celle qui « a fait de la question de l’eau un enjeu fort de son programme, en proposant un plan national qui devrait permettre de moderniser les infrastructures de gestion de l’eau du pays » maintient « en matière énergétique, [une] position (…) encore assez ambiguë, malgré son expertise sur les sujets climatiques ». « Elle a ainsi annoncé des investissements de plus de 13 milliards de dollars dans le développement des énergies renouvelables. Tout en promettant de poursuivre l’héritage d’Andrés Manuel López Obrador, qui a largement poussé le développement des énergies fossiles dans le pays depuis 2018. »

En dévoilant, fin juin une partie de la composition de son gouvernement, la présidente a annoncé la nomination au poste de ministre-secrétaire d’État à l’agriculture et au développement rural l’agronome Julio Antonio Berdegué Sacristan, ancien représentant régional de l’Amérique latine à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Aussi bien son parcours et sa personnalité que ceux des ministres qu’elle a choisis devraient donner à réfléchir à quiconque s’imagine en vizir. Expérimentés et compétents sur le plan professionnel, elles et ils ont aussi représenté leur pays dans des instances intergouvernementales et internationales où s’élaborent les politiques de coopération, où se livrent aussi des bras-de-fer avec les super-puissances, notamment financières, et où se traitent une part des grands enjeux globaux de notre époque. Sous leur conduite, le Mexique, puissance dite émergente est une puissance mondialisée, au sens que lui donne le politologue Bertrand Badie. C’est-à-dire que, sous l’impulsion de Sheinbaum et dans la continuité du mandat d’AMLO, ce pays entend bouger les lignes sur le plan international autant qu’il envisage de se servir des atouts de la coopération (je dis bien, coopération et non mondialisation) internationale pour garantir son propre développement. 

Ce n’est pas une vision largement répandue, mais c’est la seule qui cherche à articuler les dimensions nationales et internationales de manière dialectique. Elle demeure le plus souvent le fait de pays du « Sud Global », dirigés par des forces de sensibilité progressiste. À l’instar d’autres nations (Cuba ou l’Afrique du Sud, pour citer deux exemples bien différents), la politique internationale du Mexique n’est pas fondée de nos jours sur la puissance militaire ou des logiques de domination mais, explicitement, sur la « non intervention ». Aussi la diplomatie et la participation mexicaines aux espaces régionaux et multilatéraux revêtent-elles une dimension importante de sa politique nationale. Elles en sont même indissociables pour résoudre les grands problèmes du pays, et contribuer à changer le monde. L’avenir nous dira si la présidence Sheinbaum aura réellement travaillé dans cette voie et obtenu des résultats. Toujours est-il que cette conception fait cruellement défaut aux dirigeants des pays occidentaux qui refusent l’avènement d’un nouvel ordre international, plus juste, solidaire et pacifié, mais surtout dont les puissances dites du Nord ne seraient plus les seules maîtresses ni exclusives bénéficiaires.


(1) En espagnol, Mouvement pour la régénération nationale, créé en 2011.

(2) Lire l’Humanité du 30 août 2024.

(3) Novethic, fondé en 2001 par la Caisse des dépôts dont il est une filiale, est « un média en ligne spécialisé dans la finance durable et l’économie socialement responsable » qui s’adresse aux acteurs financiers et dirigeants d’entreprise.


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