C’est quoi une vie ? Le temps d’apprendre, « il est déjà trop tard » (Aragon).
C’est quoi une vie quand elle a été plus ou moins chienne, quand les difficultés à surmonter ont laissé peu de temps aux éclaircies.
Dans les prochaines semaines, il sera beaucoup question d’aspects techniques de la réforme des retraites. Face à l’offensive idéologique et dogmatique pour imposer un allongement de l’âge légal de départ à la retraite – il faudra y répondre point par point, je veux ici dire ce qui me paraît être l’essentiel.
Quand tant de vies au travail laissent les membres d’un corps et le cerveau en si mauvais état;
Quand, pour les 55-64 ans, plus de la moitié ne sont déjà plus en activité;
Quand la précarité impacte autant les existences, sans un travail ou même avec;
Quand l’espérance de vie en bonne santé, et donc les plus belles années à la retraite, pour les femmes et les hommes qui ont exercé les travaux et les tâches les plus pénibles – tout en prenant soin de bien les faire – dépassent à peine les 60 ans;
Quand les richesses produites, à condition d’être réparties selon la véritable utilité sociale des uns et de autres, permettrait un nouvel âge de progrès social et humain;
Quand le degré d’une civilisation se mesure aussi à la situation faite à ses seniors, à nos vieux, à nos anciens;
Quand, après une vie au travail, et une vie à faire face, plus ou moins bien – on fait comme on peut – à des responsabilités, des imprévus, on peut enfin se poser, souffler, découvrir, respirer, s’évader;
Quand, il est temps de prendre son temps, de ne rien faire, de lire, de s’émouvoir de nouveau, de se surprendre à ne plus avoir la crainte du lendemain pour ce qui l’en reste;
Quand on a repris le temps de ce frisson, « après ce qu’il faut de regrets »;
Quand on peut transmettre aux petits-enfants, à la jeune génération, à la vie qui vient;
Quand on aimerait s’engager dans une autre utilité sociale après le travail, celle du temps associatif, celui des solidarités concrètes;
Quand « la pendule d’argent qui ronronne au salon » (Brel) , « qui dit oui qui dit non, qui dit je vous attends » éveille un souvenir et une nostalgie que n’a pas remplacé la sonnerie des portables;
Quand on feuillette l’album photos d’une vie et que l’on se dit qu’il y a encore à faire mais dans un temps libéré des subordinations, d’une exploitation et même d’une aliénation quand les années au travail ont été éprouvantes, surtout à la fin;
Quand…
Alors, un mot et un seul vient aux lèvres pour parler de ceux qui expliqueront qu’il n’y a pas d’autres possibles, que c’est pour « notre bien », que c’est pour « l’équilibre des comptes », que …
Un seul mot.
Salauds.
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