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Quelle « orientation » agricole ?

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Dévoiement du mouvement paysan de l’hiver dernier, le projet d’orientation sur la souveraineté agricole adopté par les députés, fin mai, renforce l’intégration du secteur agricole national dans la guerre économique mondiale. Il fait le choix de la baisse des prix à la production contre celui de la sécurisation des revenus paysans.

Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, présenté par le gouvernement, a été voté le 28 mai 2024 à une courte majorité de 272 voix contre 232 par l’Assemblée nationale. Ce texte n’a rien d’une loi d’orientation. Il est une juxtaposition de réponses aux revendications des grands céréaliers et des firmes de l’agrobusiness. Il ne traite pas des maux profonds, dont souffrent notre agriculture et les paysans-travailleurs, ni des prix agricoles et du nécessaire désendettement, ni du coût des machines et des intrants, ni de l’accès au foncier et de l’installation des jeunes, ni de nouvelles répartitions des aides de la politique agricole commune.

Accélération du productivisme capitaliste

Les groupes du parti présidentiel, des Républicains et de l’extrême droite se sont alliés pour faciliter l’agriculture intensive au détriment de l’agroécologie, de la santé des paysans-travailleurs et de la biodiversité. Le pouvoir et les syndicats majoritaires ont sciemment entretenu une confusion entre la nécessité de réduire les charges administratives et la suppression des normes sociales et environnementales. Aucune disposition n’a été votée pour aller vers des prix garantis à la production, ni pour faire progresser le « droit à l’alimentation », en quantité comme en qualité, pour toutes et tous. 

L’orientation générale de ce texte vise à accélérer le productivisme capitaliste en faisant fi des conditions humaines, géographiques et écologiques de la production, du développement des territoires, de la qualité alimentaire, de la lutte pour la vitalité de la biodiversité et de celle pour enrayer les modifications climatiques.

Derrière des mots savants, l’article 1 constitue à lui seul une bombe, qui va aggraver tous les maux. Il donne le ton ultralibéral du texte : « L’agriculture, la pêche, l’aquaculture et l’alimentation sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire, qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la nation. »

Légaliser le « libéralisme économique agricole »

Le concept « d’intérêt général majeur » est l’outil juridique permettant d’impulser la production agricole à n’importe quelle condition. La pêche industrielle et ses bateaux usines, qui raclent les fonds marins, ne pourront pas être contestés. C’est la légalisation d’un « libéralisme économique agricole », placé au même niveau que l’environnement et le droit du travail pour s’affranchir de certaines contraintes réglementaires. Les soucis de paperasserie ne diminueront pas, mais le droit à l’environnement est durement entaillé.

Au nom de cet « intérêt général majeur », les procédures pour la construction de bâtiments d’élevages industrialisés de poulets, de porcs ou de vaches laitières, de fermes aquacoles ou de mégabassines privatisant l’eau seront facilitées.

Le Code de l’environnement se voit fracturé, afin de dépénaliser les atteintes aux espèces protégées ou aux habitats naturels. Ces atteintes seraient couvertes par la notion de « non-intentionnalité ». Pourtant, dans son avis rendu au mois d’avril, le Conseil d’État avait mis en garde le gouvernement en relevant que ces dispositions, qui « sont susceptibles de présenter des risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice, comportent des inconvénients importants en termes de sécurité juridique pour les justiciables et, plus généralement, pour la bonne administration de la justice ». 

Cette libéralisation générale, au détriment de la nature et de la santé des paysans, vise à insérer plus encore la production agricole française dans la guerre économique mondiale, souvent baptisée, pudiquement, « compétitivité internationale ». C’est la raison pour laquelle les fondés de pouvoir des grandes multinationales de l’agroalimentaire et des fonds financiers continuent de défendre les traités de libre-échange et un marché unique capitaliste européen.

Oubliés, les prix plancher

Il convient de lire avec attention le texte qui proclame que la souveraineté alimentaire de la France « s’entend de sa capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’Union et de ses engagements internationaux ». Pourtant, ce sont ces deux orientations qui font le mal de l’agriculture et les souffrances des paysans-travailleurs. La mise en concurrence est le moyen d’abaisser les prix à la production partout dans le monde. 

La loi, telle qu’elle a été votée, ne retire rien du boulet des dettes qui assaillent les paysans. Pas question pour les groupes de droite et d’extrême droite, qui ont voté cette loi, de débattre du rôle et de la responsabilité des banques dans un projet nouveau de développement agricole, pour faciliter l’installation des jeunes ou pour l’annulation et la renégociation des dettes qui enserrent nombre de paysans. 

La question fondamentale de la rémunération du travail et « les prix plancher », dont avait parlé le président de la République lors du Salon de l’agriculture, s’est également évanouie dans la nature. Et pour cause. Le pouvoir comme le complexe agroalimentaire y sont fermement opposés. 

Pour des offices publics par filière

Pourtant, la création d’offices publics par filière de production, qui veilleraient à une rémunération du travail et à des investissements par des prix de base garantis des productions à la ferme, permettrait d’assurer une sécurité de revenus aux paysans. Elle serait aussi un atout pour améliorer l’attractivité du métier et lancer un plan audacieux d’installation de jeunes.

Compte tenu de la diversité des conditions de production, ces prix de base devraient d’ailleurs être différenciés, à partir d’une quantité moyenne de production par exploitation, afin de défendre l’agriculture paysanne et de soutenir la nécessaire planification agroécologique. Cela devrait faire l’objet de négociations semestrielles au sein de l’ensemble de la chaîne de production, de distribution et de commercialisation. 

Le tout serait conjugué à une réforme profonde de la politique agricole commune, qui soutiendrait d’abord le travail, ainsi qu’une bifurcation écologique et la qualité alimentaire.

Une récupération du mouvement paysan

Une loi d’orientation agricole ne peut non plus absoudre les secteurs industriels, agrochimiques et commerciaux, qui profitent tant du travail paysan, de leur responsabilité envers la société.

Cette loi n’est que la récupération des justes demandes du mouvement paysan du début de l’année par les syndicats représentant les grandes exploitations et les secteurs industriels en amont et en aval de l’agriculture.

Une alliance des paysans-travailleurs, des consommateurs, des chercheurs, des associations doit se construire pour obtenir une autre « orientation » progressiste et environnementale permettant à la fois aux paysans de vivre mieux, de leur reconnaître un statut, tout en engageant un processus faisant du droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous un droit réel. C’est l’objet, la raison d’être de la revue La Terre.


Image by Freddy from Pixabay.


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