Alors que le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, mettant en porte-à-faux l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), veut revenir sur la procédure d’interdiction de l’herbicide agricole S-métolachlore, un rapport des autorités sanitaires pointe du doigt la persistance dans l’environnement de traces de pesticides même longtemps après la fin de leur utilisation.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a étudié des prélèvements d’eau dans tous les départements, y compris en Outre-mer, à la recherche notamment de 157 pesticides et de leurs métabolites, c’est-à-dire des composants issus de leur dégradation. « Sur les 157 composés recherchés, 89 ont été quantifiés au moins une fois en eau brute et 77 en eau traitée », indique jeudi l’Anses dans un rapport.
Un cas a particulièrement attiré l’attention des experts : le métabolite du chlorothalonil R471811 – le plus fréquemment retrouvé, « dans plus d’un prélèvement sur deux » – qui conduit à des dépassements de la limite de qualité (0,1 µg/litre) « dans plus d’un prélèvement sur trois ».
Ce métabolite est issu de la dégradation dans l’environnement du chlorothalonil, un fongicide pourtant interdit en France depuis 2020. Les autorités françaises avaient été alertées de sa présence fréquente dans les eaux de consommation suisses.
« Ces résultats attestent qu’en fonction de leurs propriétés, certains métabolites de pesticides peuvent rester présents dans l’environnement plusieurs années après l’interdiction de la substance active dont ils sont issus », conclut l’Anses.
« On sait depuis 2006 par la Commission que le chlorothalonil a la capacité de produire des métabolites en quantité importante », relève François Veillerette, de l’ONG Générations Futures.
Cette persistance dans l’environnement ne surprend pas non plus Dominique Le Goux, de l’association Eau et rivières de Bretagne, qui prend l’exemple de l’atrazine, herbicide interdit au début des années 2000.
« L’atrazine est interdite depuis plus de 20 ans et on en retrouve toujours les métabolites dans l’eau », souligne-t-elle. « Les pesticides ne disparaissent pas d’un coup de cuillère à pot ».
Pour ce qui concerne le chlorothalonil, commercialisé par la multinationale Syngenta, la Commission européenne n’en avait pas renouvelé l’autorisation en 2019, et la France avait accordé un délai de grâce jusqu’en mai 2020 pour l’écoulement des stocks du produit.
Bruxelles soulignait alors qu’il était « impossible à ce jour d’établir que la présence de métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines n’aura pas d’effets nocifs sur la santé humaine ».
La Commission citait les conclusions de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui estimait que le chlorothalonil « devrait être classé comme cancérogène de catégorie 1B », c’est-à-dire cancérogène « supposé ». Le métabolite chlorothalonil R471811, « ne fait pas partie des pesticides dépistés systématiquement dans l’eau du robinet », a précisé de son côté la fédération des professionnels de l’eau (FP2E).
« Une étude de toxicité in vivo de 90 jours chez le rat (du métabolite) a été menée en 2023 à la demande des autorités françaises pour répondre aux questions dans les différents pays européens. Les résultats finaux devraient être disponibles d’ici le troisième trimestre 2023 », a précisé un porte-parole.
« L’élimination de ce métabolite dans l’eau potable est possible » mais « nécessiterait des investissements majeurs pour les services d’eau impliquant une augmentation significative du prix de l’eau », met en garde la FNCCR, association de collectivités territoriales spécialisées dans les services publics locaux. « Le fabricant du pesticide doit assumer ses responsabilités et contribuer au financement des actions de remédiation », estime-t-elle.
Les ONG suggèrent de prendre le problème à la source: « Il faut que dès à présent des mesures fortes soient prises pour influer sur nos modèles agricoles », réclame Dominique Le Goux.
Vous devez être connecté pour publier un commentaire. Login